Interviewé par la fédération française du prêt à porter féminin, Michel Campan nous livre en trois questions sa vision du digital et son impact sur le monde de la mode.

 

Michel Campan, Président de SAME SAME but different

Hyper-connecté, souvent entre Paris et la Chine, Michel Campan est l’un des pionniers du digital en France. Dès 2000, il crée le département internet d’Hermès et son e-commerce qu’il dirige plusieurs années. En 2006, il devient directeur du marketing interactif et du CRM de Lancôme avant de devenir le directeur marketing client de Christian Dior Couture en 2008. Depuis 2010, il est Président de SAME SAME but different, une agence de stratégie et de création digitale. Résolument internationale, cette agence dispose de bureaux à Paris, New York, Hong Kong et Shanghai. 

 

Pourriez-vous nous rappeler ce qui a changé fondamentalement avec l'arrivée du web et le développement des réseaux sociaux pour les marques de mode? 

L’arrivée du digital est assez récente, il y a une vingtaine d’années, d’abord aux Etats-Unis, avant d’exploser dans les années 2000. La stratégie digitale classique était de présenter la marque, voire ensuite de faire du e-commerce. Puis, en 2004/2005, tout le monde s’y est mis mais c’était encore des années d’exploration. On sentait un rapport d’amour et de haine entre les marques et le digital.
Entre 2006 et 2012, nous avons assisté à l’émergence des « social media » qui ont débuté avec les forums, puis Facebook et autres Twitter sont arrivés avec le succès que l’on sait. De son côté, l’e-commerce s’est également développé. Environ 80% des marques ont désormais leur e-shop mais celui-ci nécessite des investissements et pose des questions importantes liées à l’organisation. En général, on constate que les e-shops sont avant tout une vitrine pour les marques. Il était plus facile pour les marques d’adhérer aux réseaux sociaux. Et c’est ce qu’elles ont fait, notamment en se focalisant sur la course aux fans, sans trop savoir ce qu’il fallait en faire par ailleurs. 
Enfin, depuis 2012, on constate que ce sont les services qui sont mis en avant. Or, c’est quelquefois plus complexe à gérer que les relations publiques.

 

Quelles sont les forces et les faiblesses des marques françaises de mode aujourd'hui par rapport au numérique? 

Bien intégrer le digital demande une adaptation, une réorganisation interne, structurelle. Aux Etats-Unis, le patron du digital fait partie du board de l’entreprise alors qu’en France, dans les entreprises classiques, le digital est peu ou mal considéré. Il y a encore une vraie rigidité dans l’intégration du digital. Celui-ci, par nature, est un secteur qui se renouvelle tout le temps et dont le contenu diffère de ce que l’on connaissait auparavant. 
En revanche, la France dispose d’un incroyable capital : elle-même. A l’international, le pays est aimé sans rien faire de particulier. Cependant, c’est la France que les gens aiment, pas les Français. Les Asiatiques entretiennent un rapport fort avec la France mais ils aiment aussi les États-Unis. Sur les marchés asiatiques, le principal danger pour les marques françaises, ce sont les Américains. Si les Chinois aiment Chanel, ils aiment aussi Coach ou Tory Burch qu’ils jugent de la même façon. Or nous, Français, nous restons encore assez hautains, peu explicatifs. Nous sommes créatifs dans le digital, la mode ... Nous avons cette créativité dans notre ADN mais nous ne l’exploitons pas assez. 

 

Quelle stratégie digitale conseilleriez-vous aux marques françaises de prêt-à-porter qui souhaitent se développer à l'international? Investir sur l’e-commerce ? Un réseau social ?

Les marques et les enseignes doivent parler à leurs clients. Le digital est un formidable moyen de communiquer mais il faut vraiment s’en occuper et chercher à comprendre ce qui s’y fait, ce qui s’y joue. Par exemple, ce n’est pas parce qu’un nouveau réseau social - comme Instagram- a du succès que Facebook est fini. Par ailleurs, le client final veut du service, toujours plus de service !
A l’international, la Chine représente un potentiel de développement énorme. Ce n’est plus un marché émergent. Si les marques n’y vont pas, ne serait-ce que pour communiquer, les Chinois vont y être pour elles. La présence des maisons françaises est donc fondamentale. C’est pourquoi nous avons créé notre agence en même temps à Shanghai et à Paris, il y a maintenant déjà six ans. 
Pour aborder le marché chinois, les marques doivent établir leur notoriété. Se faire connaître passe par l’éducation, la pédagogie. Il faut expliquer son histoire, ses particularités, ses savoir-faire. Il faut être présent par exemple à travers une page Wikipédia ou Baidu Baike (son équivalent chinois), un Wechat et bien faire apparaître où la marque est distribuée sur son site. 
Il est important aussi de parler aux Chinois qui voyagent. Ils sont 100 millions aujourd’hui. Dans quatre ans, ils seront 400 millions ! La France est leur deuxième destination. Ils arrivent avec 15 000€ en moyenne pour faire des achats pour eux et pour leurs amis. La moindre des politesses est de leur parler dans leur langue, d’organiser des rendez-vous pour eux, bref, de les servir.
Nous avons la chance que les produits français plaisent. Profitons-en !